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Territoires : politiques publiques (20 04 2023)

Nous vous proposons aujourd’hui cette note publiée le 7 avril 2023 sur le site Vie publique (cliquer ici pour accéder au site Vie publique)

https://www.vie-publique.fr/eclairage/288476-territoires-les-politiques-publiques-du-dernier-kilometre.html

Territoires : les politiques publiques du dernier kilomètre

Publié le 7 avril 2023

Comment intégrer l’ensemble des territoires dans une ambition de transformation et de modernisation des infrastructures publiques sans risquer de laisser de côté une partie de la population isolée géographiquement ou peu familiarisée avec les outils de communication ? C’est l’objet de la politique du dernier kilomètre.

SOMMAIRE

  1. Quelles sont les populations les plus exposées à un risque d'isolement ?
  2. Quelles sont les politiques publiques mises en œuvre ?
  3. Des problématiques structurelles et financières persistantes

Le regroupement de services publics (justice, santé, enseignement supérieur…) mais aussi la dématérialisation des démarches administratives initiée avec internet font porter le risque d’un décrochage d’une partie de la population située dans des territoires isolés ou peu familiarisée avec les nouveaux outils de communication.

Les politiques publiques du dernier km s’inscrivent dans cette problématique et visent à travers différents dispositifs à rapprocher les services publics de populations qui s’en trouvent éloignées.  Selon Claire Hédon, Défenseuse des droitsentre 10 et 13 millions de personnes sont en difficulté avec les démarches administratives. En cause, la disparition de certaines structures publiques d’accueil et la difficulté d’accès aux démarches numériques pour une partie de la population. Pour la Défenseuse des droits, le système de "l’aller vers" s’est inversé : il est demandé aujourd’hui aux populations de s’adapter aux moyens de communication à distance quand, autrefois, des services publics se trouvaient dans un rayon proche. Or, "c’est à l’administration de parcourir le dernier kilomètre et non à la personne".

Quelles sont les populations les plus exposées à un risque d'isolement ?

L’isolement réel ou ressenti peut être lié à plusieurs facteurs :

  • un éloignement géographique des structures publiques de plus en plus regroupées dans les grands pôles urbains (hôpitaux, centres d’impôts, tribunaux, universités…) ;
  • un manque d’équipement des populations en matériel informatique, en infrastructures réseaux (5G, fibre optique), en moyens de transports… ;
  • un manque de formation aux outils de communication permettant les démarches administratives à distance.

Dans les territoires ruraux, un risque d’isolement géographique

Sur un total de 34 968 communes, 30 775 sont catégorisées comme rurales (88% du territoire).

Une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) "La France et ses territoires", publiée en 2021, redéfinit la ruralité en intégrant comme critère, outre la densité de la population, la proximité aux services publics (en l’occurrence Pôle emploi). Quatre types d’espaces ruraux sont ainsi identifiés selon ce nouveau critère : les communes rurales peu denses, très peu denses, hors influence d’un pôle et sous forte influence d’un pôle.

Au sein de ces communes rurales peu denses ou très peu denses, dites "autonomes", l’étude fait le constat d’un "rural profond" en situation d’isolement, avec une population particulièrement âgée, pour qui l’accès aux services publics est plus difficile et les temps de trajet plus longs pour rejoindre les services essentiels (médecin généraliste, maternité, urgence...).

Ce sentiment de dégradation du lien avec les infrastructures publiques, majoritaire dans le monde rural, est confirmé par un rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques remis en 2019. En particulier en matière d’emploi, de réseaux routiers, de services publics, d’accès à la santé et aux commerces. Le rapport constate de surcroît une plus grande fracture entre communes urbaines et rurales sous l’effet d’une dématérialisation "devenue un handicap à cause d’une mise en œuvre brutale".

L’équipement en matériel informatique, un facteur déterminant

Outre le facteur géographique, le taux d’équipement des ménages en moyens de communication informatique est un autre indicateur d’isolement : 21% de la population ne dispose pas de la capacité à communiquer via internet, selon une étude de l’Insee. Alors que le taux brut de non-équipement de la population est estimé à 8% en agglomération, il s’élève à 13% dans les communes rurales et les unités urbaines de moins de 10 000 habitants.

Un risque de perte de lien à l’ère de la dématérialisation des démarches administratives

Une étude de l'Insee datée de 2019 évalue à 15% de la population nationale le taux de non-usagers d’un outil informatique et à 9% les personnes qui se considèrent incompétentes dans ce domaine. Au plan national, le taux d’illectronisme est estimé à 17%. Pour ces populations, la dématérialisation de l’administration accroît le risque de non-recours à des prestations ou de perte de droits en plus du risque d’isolement relationnel.

L’étude révèle également le rôle des facteurs sociaux et des facteurs d’âge parmi les populations les plus en difficulté avec l’usage d’internet les plus âgés sont les plus concernés (une personne de 75 ans sur deux n’a pas accès à internet depuis son domicile), devant les personnes peu qualifiées professionnellement et les inactifs. En comparaison, le facteur géographique est moins déterminant malgré les disparités des territoires en équipement haut débit. Le non-usage des outils de communication semble avant tout lié à un manque de compétences de base en recherche d’informations.

Toutefois, le monde rural concentre les catégories les plus touchées par l’illectronisme : ouvriers, artisans-commerçants, personnes âgées avec de faibles retraites, tandis que les zones urbaines comptent plus de cadres et de professions intermédiaires, mieux familiarisées aux outils informatiques.

Quelles sont les politiques publiques mises en œuvre ?

La loi de 2019 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) qui s’inscrivait dans le contexte social du mouvement des Gilets jaunes voulait répondre à ce constat d’une perte de lien pour une partie de la population, en renforçant les politiques de proximité

La création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dans la continuité de la loi Élan, vise précisément à renforcer les moyens d’action dans les territoires en manque d’infrastructures publiques. La vocation de l’agence est notamment de faciliter la mise en place de projet territoriaux grâce à un regroupement de compétences d’organismes nationaux (commissariat général à l’égalité des territoires, Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, Agence du numérique). Les grands axes de sa mission sont ainsi définis :

  • conseiller les collectivités territoriales dans la conception de leurs projets ;
  • coordonner l’utilisation des fonds européens ;
  • se charger, en lieu et place des élus locaux, de l’acquisition, de la gestion et de la cession d’exploitation, en tant que délégataire du droit de préemption, pour faciliter la réalisation des projets.

Il s’agit également d’impliquer davantage les instances locales et territoriales dans les politiques publiques. Ainsi, la présidence de l’agence est confiée à un représentant des collectivités territoriales élu par un conseil d’administration.

Le déploiement, en 2019, des Maisons France service (MFS) s’inscrit dans la même dynamique en proposant de développer le réseau des 1 123 maisons de service au public (MSAP) associées aux grands partenaires sociaux (Cnaf, Cnam, Cnav, Pôle emploi, La Poste…). L’objectif est d’accompagner les populations par la mise en place d’un guichet unique situé à moins de 30 minutes des habitants. Les agents aujourd'hui présents dans les 2 379 guichets uniques répartis sur l'ensemble du territoire doivent faciliter les démarches des populations dans divers secteurs : santé famille, retraite, droit, logement, impôt, recherche d’emploi, accompagnement au numérique.

Dans un bilan réalisé en 2022 sur l’implantation des Maisons France service, les rapporteurs font état de 2 197 MFS déployées sur le territoire avec un taux de satisfaction des usagers élevé (93,4%) et une action jugée pertinente de la part des élus locaux (73,6%).

L’action Cœur de ville, lancée de 2017 à 2022 est une autre initiative qui s’inscrit dans une politique de proximité et de revitalisation des territoires mais elle est davantage ciblée sur les villes moyennes. L’objectif annoncé est de soutenir le dynamisme local dans les secteurs du logement, des commerces de proximité, des services, en misant sur "une gouvernance plus locale des politiques publiques de développement". Un comité de pilotage se réunit toutes les deux semaines sous l’égide de l’ANCT. Le plan est doté d’un budget de 5 milliards d’euros sur 5 ans, abondé en partie par des organismes partenaires (Banque des territoires, Action Logement, Anah). Une action Cœur de ville 2, dotée du même budget mais davantage axée sur la transition énergétique, prolonge le dispositif jusqu’en 2026. 

Des problématiques structurelles et financières persistantes

Dans le bilan réalisé par les parlementaires trois ans après la mise en place des MFS, plutôt que des territoires abandonnés par les grands réseaux nationaux de services publics, les rapporteurs évoquent "un manque cruel de coordination entre les différents dispositifs, des décisions indifférentes aux spécificités locales et le caractère incomplet d’outils de contractualisation qui oublient les services de l’État".

Des problématiques structurelles et financières subsistent : 

  • un financement de l’État insuffisant ;
  • une offre de service à élargir ;
  • un besoin de formation et de pérennisation des emplois des agents en place dans les MFS
  • un déploiement qui n’a pas atteint son objectif initial d’une MFS par canton et à moins de 30 minutes du domicile de chaque usager.

Au cours d’un débat au Conseil d’État sur la question du dernier kilomètre de la politique publique dans les territoires (14 décembre 2022), certains intervenants ont évoqué une centralité persistante du pouvoir administratif et judiciaire. Pour d’autres, la décentralisation des décisions politiques au profit des territoires a conduit à une perte du niveau d’expertise préjudiciable pour les territoires. Les acteurs du débat (élus locaux et responsables de secteurs publics) évoquent également une superposition de dispositifs devenue un "casse-tête administratif et financier", conduisant, de surcroît, à une perte de moyens financiers pour les villes et à un blocage des projets. 

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